Le manque de courage politique nous mènera à notre propre perte
Les plus écoanxieux d’entre nous étaient aux anges lorsque le gouvernement libéral a recruté l’environnementaliste Steven Guilbeault afin d’en faire son ministre de l’Environnement et du Changement climatique. Le cofondateur de l’organisation environnementale québécoise Équiterre viendrait probablement sauver la face d’un gouvernement ami de l’industrie pétrolière. Les attentes étaient élevées, c’est le moins qu’on puisse dire.
3 ans plus tard, le bilan du « grand sauveur » est peu reluisant. Connaissant personnellement M. Guilbeault, je n’ai jamais douté de son ambition et de sa volonté d’en faire plus, mais le voilà confronté à la triste vérité : le Canada est un état pétrolier qui valorise encore trop la production gazière et pétrolière et qui est loin d’être prêt à se lancer dans une véritable transition énergétique.
La pression que le lobby des industries fossiles exerce sur le gouvernement fédéral est plus forte que jamais. Le bureau d’enquête du Journal de Québec révélait qu’entre janvier 2022 et septembre 2023, les ministères clés de Justin Trudeau ont tenu plus de 2000 rencontres avec des lobbyistes du pétrole, du gaz et du charbon. C’est 3 fois plus de rencontres que celles tenues avec des organisations environnementales. Les statistiques ne mentent pas : le lobby des combustibles fossiles influence clairement les décisions du fédéral.
Soyons réalistes, le gouvernement libéral n’a besoin de personne pour prendre de mauvaises décisions! En 2022, voilà qu’il donne son approbation à Bay du Nord, un mégaprojet d’extraction pétrolière au large de Terre-Neuve. Bien qu’il le souhaite carboneutre, le projet pourrait générer plus de 116 millions de tonnes de gaz à effet de serre (GES) en raison de l’exploitation de 200 000 barils de pétrole par jour, pour un total de 300 millions de barils d’ici 2058. Qui plus est, le projet de forage se retrouve en plein refuge marin que le gouvernement a lui-même créé quelques années plus tôt. Selon les règles d’Ottawa, les activités de pêche y sont interdites alors que les forages pétroliers sont permis. Quelle incohérence!
Comment sommes-nous censés protéger la biodiversité et les espèces menacées si nous laissons libre cours aux activités dangereuses de la pétrolière qui est responsable de la marée noire du golfe du Mexique? Les impacts climatiques de ce projet sont inquiétants, sans compter les possibilités de déversement de pétrole. Et pourtant, c’est un gouvernement et un ministre supposé champion du climat qui lui a donné le feu vert. C’est probablement la plus grosse couleuvre que le ministre de l’Environnement a dû avaler jusqu’ici, mais cessons de l’excuser. Qu’il soit le mieux intentionné du monde, en donnant l’aval à ce projet, le ministre se rend complice de l’industrie et ne fait qu’aggraver la crise climatique qui nous engouffre déjà.
Même les cibles de réduction de GES que le gouvernement s’est fixées sont insuffisantes et tout porte à croire qu’il ne sera pas en mesure de les atteindre. En 2021, il annonçait s’engager à réduire d’ici 2030 ses émissions de GES de 40 à 45% sous les niveaux de 2005. Or, en septembre dernier, le Groupe consultatif pour la carboneutralité, créé par le fédéral, indiquait que la cible devait être plus ambitieuse, proposant une réduction des émissions pour 2035 de 50 à 55% par rapport aux niveaux de 2005. C’est la seule façon de suivre le rythme des partenaires du G7 du Canada. Si l’on regarde les actions ou plutôt l’inaction du fédéral, l’atteinte de cet objectif semble malheureusement utopique alors que c’est pourtant la chose à faire!
À une époque où la crise climatique est probablement le plus grand défi collectif mondial, le Canada doit faire preuve d’un plus grand courage politique. Sans quoi, nous contribuerons à notre propre perte. En juin dernier, à l’occasion de la Journée mondiale de l’environnement, le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, Antonio Guterres, déclarait : « Nous ne sommes pas seulement en danger : nous sommes le danger ». Il y a longtemps que nous avons identifié les principales causes du réchauffement climatique et nous commençons déjà à en subir les contrecoups. Or, nous n’avons pas le courage d’agir.
Un gouvernement véritablement ambitieux aurait le courage de mettre fin au financement de l’industrie des combustibles fossiles pour plutôt la taxer afin de financer la lutte aux changements climatiques et il aurait le courage de réglementer la production.
Un gouvernement véritablement ambitieux aurait le courage de se fixer des cibles de réduction des GES qui auront les résultats escomptés et de mettre en place toutes les conditions nécessaires pour les atteindre. Plus nous attendons, plus ces mesures devront être drastiques.
Un gouvernement véritablement ambitieux aurait le courage de sanctionner les voyous du climat et de mettre fin à l’écoblanchiment et aux publicités pour le pétrole, le gaz et le charbon, comme il l’a fait pour d’autres produits néfastes pour la santé humaine, tel le tabac.
Un gouvernement véritablement ambitieux aurait le courage de tout miser sur les énergies renouvelables afin d’assurer un avenir vert aux prochaines générations.
Pourtant, à un moment où le Canada devrait compter sur la rage de vivre d’un environnementaliste à la tête du ministère de l’Environnement, le pays fait du sur-place et son manque de courage politique nous mènera à notre propre perte.